Quand on lance un projet d’innovation de prestation «produit ou service», on s’expose d’emblée à des incertitudes par rapport aux risques techniques et/ou aux risques de marché. Plusieurs études montrent que le taux d’échec des innovations de prestation est malheureusement très élevé. Par exemple, les travaux de Gosh rapportés par Gage dans un article paru dans «The Wall Street Journal» en 2012 «The venture Capital Secret» montrent que 95% des projets d’innovation n’arrivent pas à atteindre les objectifs du retour sur investissement définis au départ.
Par ailleurs, plusieurs études dont celle publiée en 2016 sur le site de Chubby Brain, montrent que la dimension technique est rarement la cause principale de l’échec d’une innovation. Les causes d’échec les plus significatives trouvent leurs origines d’abord et avant tout dans l’analyse inadéquate du marché et des besoins clients et à un niveau moindre, dans la mauvaise gestion de la trésorerie et la planification du processus de développement de produit.
Autrement dit, une bonne équipe technique réussit souvent à développer des produits performants, mais ces derniers ne trouvent pas toujours preneurs. Du moins, à la hauteur des attentes planifiées au début du projet!
Dès lors, on peut se permettre d’émettre certaines hypothèses: (i) les projets d’innovation sont initiés par des inventeurs ou des équipes de R&D qui trouvent que leurs idées sont géniales, mais ne valident pas le marché auparavant, ou (ii) les projets sont initiés sur la base d’études de marchés «classiques» qui ne prennent pas en compte le caractère incertain de l’innovation, ou (iii) une combinaison des deux scénarios précédents soit, le projet est initié par des inventeurs et appuyé par une étude de marché «classiques».
Dans les trois cas, on ne peut s’empêcher de remettre en cause le processus d’innovation.
Quand il s’agit de développer un nouveau produit, Beaucoup d’entreprises utilisent le processus, communément appelé phase-Gate (ou Stage-Gate). Ce processus repose sur des phases distinctes séparées par des points de contrôle (Gate). Les points de contrôle obligent le comité de suivi du projet de valider ou d’invalider la phase qui vient de se terminer en se référant à des paramètres propres au projet (GO/KILL). Ce processus est montré dans le diagramme suivant.
La phase 0 est une étape très importante et représente la phase d’idéation. L’objectif à cette étape, est de générer un maximum d’idées et d’appliquer ensuite, un processus adéquat pour filtrer les meilleures idées. Une fois l’idée sélectionnée, elle passe le premier point de contrôle G1. La phase suivante est la portée du projet. À cette étape, on évalue l’impact potentiel du produit sur le marché. On analyse les forces et les faiblesses du produit, le paysage concurrentiel et les clients cibles. Ensuite, on passe à la phase de la rédaction du plan d’affaires qui comprend des sections sur la taille du marché, la concurrence et la finance. Et très souvent, on retrouve une annexe contenant des feuilles Excel montrant des projections financières pour les prochaines années qui font miroiter un retour sur investissement important pour justifier l’injection des fonds dans le projet. À la phase 3, on procède au développement du produit, et à la phase 4, on débute les tests et la validation du produit avec les clients.
Les entreprises qui appliquent ce processus croient que la clé du succès d’une innovation repose sur leur capacité à générer un grand nombre d’idées et de pouvoir sélectionner rapidement et à peu de frais les meilleurs idées qui permettront de développer le nouveau produit. Le mot d’ordre de ce processus est le concept «test fast – fail fast – adjust fast».
Malheureusement, les études montrent que ce processus est mal adapté aux projets d’innovation.
Cela pourrait s’expliquer de 4 manières différentes :
Premièrement, le processus stage-gate est linéaire et met l’accent sur l’exécution d’un projet d’envergure dont les risques d’affaires sont faibles. Les entreprises qui appliquent ce processus avec succès sont généralement matures et maîtrisent déjà les paramètres de leurs marchés. Mentionnons, que dans un projet d’innovation, on ne connaît que vaguement les paramètres du marché et encore moins, les véritables besoins des clients.
Deuxièmement, les processus d’évaluation et de sélection des idées sont intéressants, mais demeurent imparfaits, car ils peuvent facilement passer à côté de grandes idées.
Troisièmement, les travaux sur une très longue période de temps d’Antony Ulwick montrent que le processus Stage-Gate est une cause directe du taux d’échec élevé des Startups. En effet, dans son dernier ouvrage «Jobs To Be Done (2016)», Antony Ulwick nous apprend que les besoins d’une entreprise typique varient de 50 à 150 et que 5 à 80% de ces besoins ne sont pas comblés. Si on utilise le processus Stage-Gate sans connaître au préalable de façon précise les besoins des clients ciblés, la probabilité mathématique pour qu’une idée générée à partir d’un brainstorming puisse correspondre ne serait-ce qu’à 15 besoins non comblés est très faible, pour ne pas dire nulle.
Et, Quatrièmement, selon l’article publié dans HBR en 2016, Clayton Christensen et ses collaborateurs affirment que les analyses marketing classiques sont inadéquates pour fournir des informations précises et utiles au succès d’un projet d’innovation. En effet, les analyses marketing classiques sont structurées pour montrer des corrélations: Une telle catégorie de clients préfère tel ou tel produit, ou 70% des clients préfèrent la version A plutôt que la version B d’un tel produit, et ainsi de suite. Ce genre d’analyse est utile pour dégager des tendances, mais ne représente pas une logique de cause à effet.
Comment peut-on alors améliorer le processus d’innovation pour augmenter les chances de succès des projets d’innovations?
Chaque entreprise est unique et fait face à des difficultés propres à son environnement. Cependant, les chances de succès peuvent augmenter de façon substantielle en adoptant une approche centrée-client (Customer centric). En ayant cet état d’esprit, Anthony Ulwick suggère de débuter par identifier les besoins clients et surtout ceux qui ne sont pas comblés à la phase 0 puis de remplacer la phase 2 consacrée à la rédaction du plan d’affaires par la phase d’idéation pour définir les stratégies d’innovation, de produit et du marché. Les travaux d’Anthony Ulwick montrent que le taux de succès atteint près de 85% lorsque le processus d’innovation débute par les besoins clients!
Mais attention, l’expression besoin client est tellement galvaudée qu’elle ne veut rien dire si elle ne répond de façon claire et précise aux véritables besoins clients. Je vous invite à faire un petit exercice dans votre lieu de travail. Demander à obtenir la liste des besoins clients à l’équipe des ventes, à l’équipe de R&D, à l’équipe de marketing et au dirigeant d’entreprise. Ensuite amusez-vous à comparer les réponses. Si vous obtenez les mêmes réponses, c’est que vous avez un bon processus en place. Ma crainte est que vos réponses soient très différentes ou manquent de clarté au point de suggérer différentes interprétations. Malheureusement, c’est ce qui se passe dans la majorité des entreprises.
La méthodologie Job-To-Be-Done fournit un cadre qui se décline en 2 parties et permet de catégoriser, définir, capter et organiser tous les besoins des clients, ainsi que d’associer les métriques de performance définies par le client (sous la forme d’énoncés de résultats souhaités) à chaque besoin.
Theodore Levitt, professeur de marketing à la Harvard Business school dans les années 60, disait à ses étudiants: Les gens n’ont pas besoin de perceuses. Ils ont besoin de trous dans les murs! Le Job To Be Done est le trou dans les murs. Clayton Christensen et Michael Raynor ont permis au concept Job To Be Done de rayonner internationalement par l’entremise de leur livre «The Innovator’s Solution, 2003». Les auteurs suggèrent que les gens sont moins intéressés par les produits qu’ils achètent que par les services que ces produits leurs rendent.
Plusieurs entreprises ont adopté un modèle d’affaires basé sur ce concept. L’exemple le plus populaire est probablement celui de Hilti. Devant la concurrence féroce du marché du petit outillage, Hilti a décidé de changer son modèle d’affaires vers la fin des années 90 en s’appuyant sur la méthodologie Job-To-Be-Done. Hiltti développe alors une offre d’abonnement qui permet aux clients d’accéder à un parc d’outils en temps réel. Les entreprises de travaux publiques ont adopté cette offre, car elle leur permet de toujours rester à la fine pointe de la technologie tout en se libérant du fardeau de la maintenance d’un parc d’outils. De son côté, Hilti a investi des capitaux importants pour faire le suivi en temps réel des parcs d’outils déployés chez les clients. Ce nouveau modèle d’affaires a permis à la société Suisse de connaître un succès international.
J’espère que cet article vous a plu. N’hésitez pas à le commenter et le partager sur vos réseaux sociaux. Vos suggestions pour des sujets futurs sont les bienvenues.